La réunion Inventer à gauche a fait salle comble hier à l’Assemblée nationale. Parmi les participants étaient présents Michel Rocard, Catherine Lalumière, Edwige Avice, ou Maurice Vincent. Nous recevions Monsieur Louis Gallois, Président du Conseil de surveillance de PSA Peugeot Citroën, Haut fonctionnaire français, ayant dirigé plusieurs entreprises comme EADS, à la tête du cabinet de Monsieur Jean-Pierre Chevènement, Ministre de la Recherche et de la Technologie, puis de la défense. Il a enfin été Commissaire général à l’investissement.
Louis Gallois a dressé un tableau de l’état de l’industrie en France, évoquant à l’occasion le rapport sur la compétitivité dit « Rapport Gallois » qu’il avait remis au Premier Ministre en novembre 2012 ; avant d’aborder la question du projet de loi de réforme du travail. Exposé éclairant, comme le débat qui a suivi, questionnant tour à tour les problématiques énergétique, entrepreneuriales, de représentation syndicale ou encore de politique d’investissement.
Michel Destot : Trois ans et demi après la remise de votre rapport sur la compétitivité française, quel est le bilan ? Après quatre ans de mandat du Président Hollande, pouvez-vous nous dire ce qui a changé ? Ecririez-vous de la même manière ce rapport aujourd’hui ?
Louis Gallois : Je ne vais pas parler du rapport car il a vieilli, mais plutôt de l’état de l’industrie française.
- Etat de l’industrie française
Depuis 2012, il n’y a pas eu de changements décisifs de l’état de l’industrie française. Plusieurs entreprises ont été rachetées par des groupes étrangers, à l’instar d’Alcatel Lucent ou de Lafarge. Pour ce qui est de Lafarge, rien ne justifiait cette vente, hormis l’avidité des actionnaires.
Plusieurs remarques positives néanmoins :
– les parts de marché à l’export ont cessé de baisser. Cela est-il dû au pacte de compétitivité ? Je pense que c’est surtout dû à la baisse de l’euro ;
– La balance commerciale des produits manufacturés s’est améliorée, même si elle est toujours négative (de 9 milliards d’euros, dont 7,5 milliards avec l’Allemagne) ;
– Les marges des entreprises se sont améliorées pour retrouver le niveau d’avant crise ;
– Le moral des chefs d’entreprises s’est redressé (au-dessus de la moyenne de long terme). Les entreprises ont recommencé à créer de l’emploi et anticipent l’investissement en 2016.
Plusieurs mesures prises en 2015 ont eu des effets positifs sur :
– le lien recherche/entreprise grâce au maintien du crédit recherche ;
– les filières, les liens grands groupes/sous-traitants, et les industries ayant les mêmes problématiques ;
– le succès numérique français. Bien sûr, la France n’a pas supplanté les Etats-Unis, mais la capacité culturelle française dans le numérique se voit dans de nombreuses entreprises.
Tout cela peut s’étioler comme s’améliorer. Le vrai sujet est l’investissement. Celui-ci a subi une légère diminution en 2015. En revanche, on annonce une hausse de 7 % en 2016.
A moyen terme, l’enjeu est la pénétration des « key anablying technologies » dans l’industrie française (nano tech, numérique…).
Pour les politiques à mener, il faut persévérer sur la politique de l’offre. La demande n’a jamais été insuffisante, hormis pour ce qui est du logement et de l’investissement dans les infrastructures des collectivités territoriales. Le problème c’est l’offre, car quand on stimule la demande, on assiste souvent à une hausse des importations.
Il faudra au moins dix ans pour regagner en compétitivité, et pour y parvenir, il faut maintenir les mesures de soutien à l’innovation et à l’investissement.
Il y a aujourd’hui une demande d’augmentation de plus de 40 milliards d’euros du pacte de compétitivité. Mais je ne vois pas comment les financer. Cela représente 2 points du PIB. Le Medef voudrait 65 milliards supplémentaires, ce qui nécessiterait de trouver 125 milliards en baisse de la demande.
Le dialogue social est ici essentiel, pour pouvoir crée les conditions de la confiance.
Pour solidifier l’investissement, il faut mener à son terme le pacte de responsabilité, et mettre en place le 3ème plan du pacte d’avenir.
La structure de l’épargne française est aberrante : 60 % des 11500 milliards d’euros de l’épargne française sont constitués d’immobilier, et seulement 15 % de cette épargne est « à risque ». Cela ne permet pas de soutenir l’investissement productif. Pour cela, j’ai proposé de sortir les actions de l’ISF, mais je ne suis pas sûr d’avoir raison sur ce point.
- Droit du travail
Le code du travail est illisible : chaque texte renvoie à un autre. Le projet de réforme du gouvernement n’a pas la forme adéquate. Madame El Khomri doit affronter une des réformes les plus difficiles depuis le début du quinquennat.
Elle a plusieurs aspects positifs : souplesse à l’intérieur de l’entreprise dans le cadre d’accords négociés ; et plus de poids aux négociations dans les branches et les entreprises par rapport aux droits régaliens trop détaillés.
En revanche, même si je ne suis pas opposé a priori au plafonnement des pénalités, j’aurais été pour une réforme des prud’hommes. Sans juge professionnel, il n’y a pas de jurisprudence établie. Chaque chambre prudhommale fait ce qu’elle souhaite.
Je ne crois pas non plus à ce qui est prévu pour le licenciement économique. Encadrer le juge n’est pas une mauvaise idée, mais il y a deux possibilités : définir strictement ou largement le licenciement économique.
Il faut compléter le projet de loi dans le sens de la flexisécurité :
– Pourquoi ne pas plus faire appel au chômage partiel ? Il y a un défaut flagrant de communication au sujet de la réforme de 2013 ;
– Ensuite, le compte personnel d’activité est une très bonne formule si elle est poussée au-delà de ses limites actuelles, car c’est la somme du compte formation et du compte pénibilité. Le rapport de France stratégie est excellent à ce sujet. Il propose par exemple de pouvoir transformer le compte temps en compte formation. Cela contribuerait à diminuer la difficulté d’accès à la formation. En effet, seulement 18 % des chômeurs suivent une formation, contre 40 % dans les pays nordiques ;
– Il y a un travail à faire sur les branches. Si l’on veut des négociations branches/entreprises, il faut diminuer le nombre de branches. On en recense 750 dont on sait que près de 600 sont inexistantes. Les syndicats sont incapables d’être présents partout. Il faudrait une cinquantaine de branches. Le chantier est engagé mais est extrêmement lent ;
– Il faut plus de représentativité. Si le syndicalisme est ancré dans les grandes entreprises, il reste en lisière dans les PME. Il faudrait pouvoir étendre le chèque syndical, pour doubler le nombre de personnes syndiquées, passant de 15 à 30 %. Pour encourager cela, il faudrait également se préoccuper des carrières des syndicalistes.
- Politique énergétique
La politique énergétique française et européenne, est un fiasco qui va coûter extrêmement cher. Le premier drame est l’arrêt du nucléaire par Angela Merkel. Ainsi, 44 % de l’énergie allemande est produite à partir du charbon : c’est absurde mais une voiture électrique allemande produit plus de CO2 qu’une voiture à essence française.
Il y a deux choses à distinguer : les économies d’énergie, les travaux d’isolation par exemple qui ne peuvent être satisfaits que sur le territoire ; et la production d’énergies renouvelables, qui vont se traduire par des importations (la France ne produit pas de panneaux solaires). Ces dernières sont donc très peu créatrices d’emplois sur le territoire national.
La baisse du prix du pétrole est catastrophique pour les énergies renouvelables car de fait, elles ne sont plus rentables. Il y a de plus un effondrement du parapétrolier. Total ne s’en sort que grâce à son activité de raffinage.
- Start up et financement
Le start-ups ne grandissent pas car il y a un problème de financement aux 2ème et 3ème tour, quand les besoins financiers sont d l’ordre de 50 à 100 millions d’euros. Il y a aussi un problème de seuil : on peut les relever, mais il est difficile de les supprimer. Il faudrait fusionner CE et CHSCT, valoriser la croissance des entreprises via les instruments fiscaux, et coacher les entreprises.
- Politique de demande
Pour Louis Gallois, il n’y a pas de problème de demande. Elle a toujours été bonne. Le secteur critique de ce point de vue est le logement : la faiblesse du logement fait perdre 0.3 points de croissance.
La demande est la somme de l’investissement, de la consommation, des dépenses publiques et de la balance commerciale. La France n’a aujourd’hui pas les moyens de relancer la consommation des ménages à l’exception des plus pauvres. L’investissement doit être poussé. Du point de vue de l’export, il faudrait être beaucoup plus ambitieux en direction de l’Europe. Le seul à aborder le sujet est Mateo Renzi.
Divers points :
- Ensuite, se pose la question des investissements des collectivités territoriales, quand l’on sait que 80 milliards d’euros sont consacrés à la construction de ronds-points.
- L’exigence prioritaire aujourd’hui est la croissance européenne. On va vers une situation inflationniste. . Il faut réduire le déficit structurel de façon à ne pas augmenter la dette. Le problème est que le plan Junker est extrêmement lent à être mis en place, et devrait être deux fois plus important.
- CICE : il est impossible de le cibler sur l’industrie.
- Pôles de compétitivité : la BPI a fait des choses, même si elle est trop prudente. En revanche, elle ne finance qu’à hauteur de plusieurs centaines de milliers d’euros, voire d’un million mais ne dépasse pas ces montants.
- Simplification : Thierry Mandon et Guillaume Poitrinal ont fait un travail remarquable mais il faut aller plus loin. En Allemagne, par exemple, un conseil de sages calcule le coût brut de chaque projet de loi, et chaque règlement nouveau se traduit par la suppression de l’ancien.
Formation/apprentissage : les ingénieurs français sont recherchés dans le monde entier, mais la vocation continue néanmoins de diminuer. Il faut proposer la transformation des lycées professionnels en CFA.
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