C’est dans le silence de l’été et l’indifférence de l’opinion que le Parlement a supprimé, le 23 juillet, par un amendement subrepticement et ironiquement glissé dans le Grenelle 2 de l’environnement, l’avis conforme des Architectes des Bâtiments de France, c’est-à-dire l’obligation pour les pouvoirs publics de respecter l’avis desdits ABF pour les projets d’aménagement dans les zones de protection du patrimoine. Cette protection chèrement acquise depuis des décennies saute donc sous la pression de certains élus locaux qui la jugent exorbitante et contraire à leur propre pouvoir. Ils gagnent ainsi une liberté illusoire de transgresser des règles dont le but était de ne pas laisser entamer la qualité de notre patrimoine et de son proche environnement par la pression des intérêts économiques.
Face à cette pression, cette liberté nouvelle est tout aussi illusoire que celle du salarié pour décider librement face à son employeur de ses horaires de travail… En effet, les élus locaux n’auront d’autre choix que de céder aux divers promoteurs et aménageurs dont l’intérêt pour le patrimoine est pour le moins aléatoire, pour ne pas dire souvent inexistant.
C’est donc l’intérêt public qui recule, une fois de plus, devant la boulimie et l’ignorance des constructeurs aux dépens d’un projet global d’aménagement intelligent. C’est plus qu’une ironie d’inscrire ce recul dans une loi qui prétend faire progresser la politique de l’environnement, c’est un véritable reniement. Et c’est la triste issue d’une très longue vendetta entre certains ABF et certaines collectivités locales. Si, ici ou là, il y a pu y avoir abus de pouvoir de quelques ABF, supprimer l’ « avis conforme », c’est oublier que, dans les zones restreintes de protection du patrimoine, l’obligation de respecter cet avis faisait le plus souvent l’objet d’un dialogue, d’une négociation bénéfique pour le projet. C’est oublier que la décision de l’ABF pouvait toujours faire l’objet d’un recours jusqu’au niveau national. C’est oublier que le patrimoine bâti structure l’aménagement d’une cité et fait partie intégrante du capital culturel et économique de la collectivité. C’est donc une bien sinistre décision qui vient d’être prise, un grand retour en arrière qui marque le peu de considération de notre pays, aujourd’hui, pour les enjeux culturels.
Catherine Tasca
Sénatrice des Yvelines
Ancien ministre de la Culture
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