« Un dîner pas ordinaire »
C’était au début de ce mois d’octobre 1987. Me levant ce matin-là, jamais je n’aurais pu imaginer que cette soirée resterait pour moi mémorable et réellement incroyable, et même historique !
Effectivement, en fin de matinée, Michel me téléphone pour me demander si je peux l’inviter à dîner ce soir même, ayant pris une décision importante dont il souhaite me parler. Intriguée, je lui ai répondu que je me ferais une joie de cette opportunité très inattendue de sa part.
Alors, je préparais un repas que je savais qu’il affectionnerait particulièrement avec un immense plateau de fruits de mer arrosé par un Gewürztraminer, vendange tardive, que nous aimions tant tous les deux.
Il arriva donc à 8 heures très précisément comme à son habitude car Michel n’était jamais en retard, ce que je trouve exceptionnel pour un homme politique ayant toujours des imprévus de dernière minute.
Michel était de très bonne humeur devant la table que j’avais dressée avec soins et détails en son honneur, ce qui le touchait, et m’en faisait la remarque complimentée. Après un apéritif de bienvenue, je lui demandais s’il souhaitait passer à table, afin de connaître cette grande décision très importante pour lui, et pour moi par la suite ! J’étais donc très impatiente d’en connaître le sujet.
Après avoir chaussé ses lunettes pour mieux déguster ses merveilleux coquillages, il attaque tout de go, entre une gorgée de ce nectar alsacien et une tartine de pain beurré ;
« Voila ! J’ai décidé de me présenter contre François MITTERRAND à la présidence de la République pour les élections de 1988, qu’en penses-tu ?… »
Alors, à cet instant précis, j’ai su que ma vie prenait tout son sens, ce fut comme un déclic qui me branchait directement sur une énergie que je ne me savais pas maîtriser et qui me dépassait. Ce fut comme dans un rêve où je partis dans une grande tirade avec une vélocité verbale incroyable pour lui exposer mon point de vue. Tout d’abord ma première phrase fut :
« Tu ne peux pas te présenter contre François MITTERRAND parce que je pense que tu n’es pas prêt pour affronter une scission avec le Parti Socialiste, et surtout je pense très objectivement que tu devrais avant tout devenir Premier Ministre afin d’avoir la connaissance et la maîtrise parfaite de tout l’appareil politique pour te donner toutes les chances de réussir. »
Et je continuais pour développer toute une théorie qui était très claire dans mon esprit, et avec tout mon cœur de femme et de militante. C’était pour moi la solution la plus juste afin qu’il arrive en toute sécurité et sincérité à la présidence de la République qui était le combat de toute sa vie pour faire triompher ses idées qui étaient les siennes pour le bien de la nation et de tous nos concitoyens, même en sachant bien qu’une élection présidentielle n’est jamais gagnée d’avance.
Je lui fis alors la proposition d’aller en parler directement à François MITTERRAND que je voyais régulièrement à sa date anniversaire du 26 octobre. Et téléphonerai donc à Paulette DECRAENE, sa secrétaire, pour lui demander un rendez-vous que je souhaitais rapidement ayant un sujet très important pour le Président à lui exposer.
Après ce discours enflammé qui dura plus d’une demie heure Michel m’applaudit et me dit ;
« Je ne te connaissais pas ces talents d’orateur ! »
Alors dès le lendemain matin, je téléphonais à la Présidence et Paulette me donna un rendez-vous dans les jours qui suivirent. Celui-ci reste encore dans les annales de ma mémoire comme un temps fort de ma vie, comme vous pouvez l’imaginer, et fera l’objet d’une publication ultérieure.
Ce rendez-vous avec le Président dura plus d’une heure et se passa exactement comme je l’avais prévu et lui exposa ma requête en lui disant :
« Michel Rocard ne se présentera pas contre vous mais il faut qu’il soit Premier Ministre ».
Après un temps assez long de réflexion François me regarda dans les yeux et me dit :
» C’est d’accord ! »
Alors je savais qu’il n’avait qu’une parole et que la partie était gagnée pour Michel. D’ailleurs, il lui téléphona immédiatement après que je sois sortie de son bureau. Michel était dans sa voiture avec notre ami Dominique de COMBLES de NAYVES qui confirmera mes dires. Le Président demandait à Michel d’être à l’Elysée le lendemain matin à 9h.
Après cette entrevue à l’Elysée avec le Président, Michel me téléphona bien sûr pour me dire ;
« Je ne sais pas ce que tu as pu raconter au Président mais jamais il ne m’a reçu comme ça … »
Et vous connaissez la suite…
Par ailleurs, Michel m’avait avoué un jour, la douleur d’avoir été rejeté par son père parce qu’il voulait faire une carrière politique et non scientifique, et ce rejet l’avait profondément marqué. Et il était et serait toujours à la recherche de cette reconnaissance de ce père et de ses pairs comme François MITTERRAND lui aussi l’avait rejeté sans ménagement après la réussite éclatante de sa mission de Premier Ministre.
Il m’en parlait encore quelques jours avant son grand départ…
Alors oui je crois qu’aujourd’hui, aux yeux de la nation rassemblée,
« il sait qu’il a bien travaillé » et que ses idées, sa personnalité et son action resteront encore longtemps dans le cœur du peuple français.
Je suis heureuse d’avoir eu la chance de le rencontrer et d’avoir pu lui apporter ma lumière sur ce chemin exemplaire qu’il a su nous apporter et souhaite continuer avec lui et pour lui sa vision d’une France plus juste et plus humaine pour les échéances prochaines de demain.
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