Vous avez souhaité qu’un syndicaliste prenne la parole pour l’hommage solennel que notre pays rend aujourd’hui à Michel Rocard (hommage au parti socialiste).
Votre initiative m’a touché. D’autant que depuis les vacances scolaires des années 60, à l’occasion de rencontres familiales avec Michel et sa famille dans le golfe du Morbihan, et jusqu’à l’anniversaire de nos 80 ans, nos relations confiantes ont scellé notre amitié, dans le respect de nos fonctions respectives.
Au-delà des faits marquants de son action de responsable politique éminent, je veux évoquer l’ampleur de son audience et de son influence auprès d’un grand nombre de nos concitoyens.
Car sa vivacité pétulante, sa force de conviction, ses utopies créatrices ont suscité des prises de responsabilité multiples dans la société civile. Nous avons été nombreux de notre génération, « enfants de la guerre » puis de la décolonisation, à nous retrouver actifs dans le bouillonnement social et culturel, la volonté de renouveau, largement exprimés après la fin de la guerre d’Algérie.
Michel Rocard, à travers ses nombreux engagements avec des mouvements de jeunesse, des associations, des clubs de réflexion, et à l’occasion de débats multiples avec des acteurs sociaux ou économiques, apparut alors porteur d’un nouveau cours pour l’évolution de la société française.
L’alternance qu’il esquissait dans ses interventions était à la fois morale, face au scepticisme ou au cynisme de bien des dirigeants; et civique, en opposition frontale aux tenants de l’étatisme ou de la révolution par la loi. Elle résonnait comme un appel à la convergence des forces sociales, politiques et intellectuelles conscientes des difficultés à surmonter.
Son ambition pour la société était de même nature que celle qui mobilisait Pierre Mendès France ou Jacques Delors. Sa conception du changement social et sociétal rejetait toute dérive populiste, lorsque les promesses de court terme l’emportent au détriment du fond : l’avenir de l’Europe, la protection de l’environnement et de la planète, par exemple.
Refusant de travestir la réalité économique, Michel faisait appel à l’intelligence des citoyens, à l’explication patiente des fondements et de la portée des réformes nécessaires.
Dans ses propositions et son action, Michel Rocard a donné l’exemple du respect de la liberté de pensée et d’action de ses interlocuteurs, même lorsque cela pouvait contrarier son parcours. Pour cet adversaire résolu du stalinisme, les références syndicalistes à Fernand Pelloutier, le promoteur des Bourses du Travail ou à la Charte d’Amiens et son exigence d’une indispensable indépendance du syndicalisme étaient des évidences.
C’est tout naturellement qu’il se retrouva de plain-pied avec la formidable poussée populaire et libertaire de mai 1968. Car conjointement avec la révolte étudiante, plusieurs millions de salariés, on l’oublie trop, ont fait grève pendant plusieurs semaines pour l’extension des libertés individuelles et collectives.
Les conditions de travail, objet premier du combat ouvrier depuis la révolte des canuts, étaient ressenties comme insupportables. Grâce à sa proximité avec les militants syndicaux, ouvriers ou cadres, Michel Rocard, loin de minimiser cet enjeu social majeur et contrairement à tant de responsables patronaux et politiques, s’engagea pleinement dans les combats significatifs qui ont marqué le début des années 1970 dans les entreprises, les collectivités et les services publics.
Pour lui mai 68 fut d’abord l’expression d’une volonté massive de combattre les hiérarchies abusives, de démocratiser la société, de diffuser les pouvoirs dans une perspective d’autogestion, d’émancipation individuelle et collective.
Devenu premier ministre, il traduisit dans son action la même volonté de réduire les inégalités. Il mobilisa les forces associatives et sociales les plus concernées pour créer le Revenu Minimum d’Insertion. L’insertion des laissés pour compte devenait une priorité politique. Et il instaura la Contribution Sociale Généralisée, donnant ainsi des bases solides au financement de la Sécurité sociale, en permanence affrontée à des déficits angoissants pour ses bénéficiaires.
Plus tard, député européen il agit en concertation avec la Confédération Européenne des Syndicats pour peser en faveur d’une politique d’investissement comme facteur de croissance et d’emploi dans l’Union Européenne.
Dans le même sens, coprésidant avec Alain Juppé la Commission du grand emprunt, il contribua au choix d’investissements dans des secteurs décisifs de notre pays, y compris en faveur du développement de l’Economie Sociale et Solidaire.
A Sylvie son épouse, à ses enfants et à tous ceux qui l’ont estimé et aimé, je tiens à en témoigner, Michel Rocard a agi jusqu’au bout de ses forces pour surmonter les désarrois de notre époque et mobiliser des forces convergentes vers un nouvel idéal.
Ses convictions, sa franchise proverbiale, son expertise économique se sont conjuguées pour démontrer que la construction de l’avenir ne dépend pas d’abord d’un programme politique mais d’une citoyenneté active. Chacun, chaque collectivité humaine est appelé à s’engager à la mesure de son insertion sociale et de ses possibilités pour anticiper l’avenir et faire progresser à tout moment la justice sociale et l’intérêt général.
Dans une époque qui sacrifie tant à la communication, aux demi-vérités, voire aux rumeurs, sa morale politique, son exigence fameuse du « parler vrai » ont marqué les esprits. Chacun le sait mieux grâce à lui : c’est un critère majeur du progrès de notre démocratie.
Pour Michel Rocard, la fiabilité des finalités proposées aux citoyens dépend d’abord de la pertinence et de la qualité des moyens employés pour les atteindre et du courage nécessaire pour surmonter les obstacles. La fin est dans les moyens.
Ainsi la réforme des retraites qu’il a engagée, ressentie d’abord avec réserve en raison de l’effort demandé à chacun est peu à peu apparue comme une nécessité pour assurer une sécurité vitale pour nos concitoyens : l’avenir des pensions de tous.
A ce moment comme dans toute son action nationale et internationale, Michel Rocard donna une place essentielle à la négociation, au dialogue social et au compromis positif.
C’est dire combien son message est actuel et combien son exemple nous concerne tous.
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