Mardi 5 avril, j’étais invité par Edwige Avice, ancienne ministre et ancienne députée de l’Isère, à intervenir comme grand témoin devant des étudiants des Hautes Études Internationales et Politiques (rattachées à la European Business School), sur le thème de la communication politique.
Le cadre était fixé d’entrée par Edwige Avice, qui a eu des responsabilités politiques et économiques de haut niveau, et dont l’engagement et l’expérience devraient être mieux utilisés dans notre pays.
- Comment un ingénieur de Grande École, chef d’entreprise, transpose son expérience dans le monde politique ?
- Quelle communication pratiquer pour une grande ville et une assemblée de grandes villes ?
- Pourquoi un livre (« Ma passion pour Grenoble ») pour en parler ?
- Quelles améliorations préconiser aujourd’hui en France en matière de communication politique ?
Ce fut donc pour moi un exercice redoutable consistant à revenir en une heure et demie sur quatre décennies d’activités professionnelles et politiques, le tout en tentant de dégager un fil conducteur en terme de communication.
I/ Comment un ingénieur de Grande École, chef d’entreprise, transpose son expérience dans le monde politique ?
Rappelant ma triple formation de scientifique, d’ingénieur et en sciences politiques, j’ai voulu souligner d’emblée que j’ai été porté par le goût de la recherche, qui privilégie, par essence, les constructions rationnelles et logiques aux démarches émotionnelles ou séductrices. Un goût de la recherche mais aussi un goût d’entreprendre qui pousse au pragmatisme et à la valorisation du collectif. La communauté scientifique est par nature universelle. La globalisation économique oblige à jouer sur les marchés internationaux. Et cette plongée dans le monde de la recherche et dans celui du monde économique ne pouvait que me porter à m’ouvrir au monde, à ses cultures et à ses couleurs.
Devenu maire de Grenoble, souvent j’ai été par interpellé par mes concitoyens qui me demandaient comment j’arrivais à concilier mes deux cultures, celle de politique (et de socialiste) et celle d’ingénieur (et de chef d’entreprise). Ma réponse n’a pas varié avec le temps. Je mettais en avant les deux valeurs sur lesquelles je m’appuyais : la réduction des inégalités et l’ouverture au monde. Avec un souci constant de répondre aux aspirations à une plus grande solidarité et dans le même temps de se montrer capable d’une plus grande performance économique.
Assurer, par exemple, un logement décent à tous est un objectif social, mais c’est aussi une condition d’efficacité économique. Comment en effet attirer de nouvelles entreprises si l’on n’est pas en mesure de loger leurs personnels ?
Comment valoriser une ville, rester attractif, communiquer à toute une population fierté et envie de s’engager si l’on déplore des quartiers qui s’embrasent et des laissés pour compte en nombre croissant ?
Cette conception des choses, m’a amené à intervenir plus fortement avec mes équipes dans le champ de l’habitat et de la politique de la ville. Et cela n’a pas porté préjudice à l’épanouissement de l’eco-système grenoblois, que je n’ai cessé de pousser dans sa synergie historique entre recherche, enseignement supérieur et entreprises, en association avec les collectivités publiques, nationale et locales.
Il m’a toujours semblé important de communiquer sur le sens des politiques menées et sur l’avantage collectif des dynamiques engagées.
Concernant par exemple l’éco-système grenoblois, j’ai toujours poussé à la pluridisciplinarité, à l’instar des grandes technopoles mondiales, et souvent en contradiction avec les orientations nationales visant à fortement spécialiser et finalement disperser les pôles de compétitivité. Nous avons ainsi réussi à ouvrir de nouvelles perspectives de développement aussi bien dans les micro et nano-technologies que dans les nouvelles technologies de l’énergie ou dans les biotechnologies.
Intervenant dans le cadre de l’environnement social et sociétal, il m’a semblé utile de prendre en compte la dimension internationale de Grenoble.
Ainsi, au plan éducatif, je me suis fortement engagé pour la construction d’une cité scolaire internationale (collège et lycée) avec de nombreuses sections particulièrement attractives (anglaise, allemande, italienne, espagnole, portugaise/brésilienne, arabe et même une école américaine). Cet équipement s’est révélé une belle réussite aussi bien pour les élèves français qu’étrangers.
Ainsi, au plan culturel, je me suis battu pour que la musique, langue culturelle universelle par excellence, ait davantage sa place dans notre Cité avec la requalification de notre Maison de la Culture et la réalisation en son sein d’un des meilleurs auditoriums d’Europe, avec l’installation à Grenoble de l’orchestre des Musiciens du Louvre sous la direction prestigieuse de Marc Minkowski, avec la réalisation d’un équipement dédié aux musiques actuelles (La Belle Électrique).
Ainsi, au plan sportif, au-delà du rugby, discipline historique, et du hockey sur glace, sport naturel à Grenoble, il m’a semblé qu’on se devait de donner au football, sport le plus populaire et le plus partagé dans le monde, la place qu’il méritait dans une grande ville cosmopolite. Le stade des Alpes fut construit à cet effet, au moment même où le GF38 montait en Ligue1. Les résultats financiers puis sportifs du club devaient ensuite changer malheureusement son destin…
Le tennis est devenu un sport incontournable dans toutes les grandes villes du monde. Le nombre de courts est considéré comme un critère d’attractivité au même titre que la présence d’une grande salle de concert ou d’un musée réputé, d’un aéroport, d’une gare TGV, d’un grand hôpital polyvalent, de sièges de grandes entreprises, d’universités renommées ou de laboratoires internationaux. La réalisation de la magnifique halle de tennis vient compléter notre patrimoine sportif pour tous, tout en contribuant au rayonnement de notre ville.
Cette dimension internationale de Grenoble fait désormais partie de sa nature et de sa réalité vivante aussi bien dans la composition de sa population que par le nombre d’entreprises étrangères implantées sur son territoire (132 entreprises à capitaux américains par exemple), que par la vingtaine de coopérations décentralisées qui nous lient avec des pays sur tous les continents.
II/ Quelle communication pratiquer pour une grande ville et une assemblée de grandes villes ?
De façon générale, j’ai toujours plaidé pour que la communication politique s’attache à expliquer la politique menée et les actions engagées. Je pense à la méthode utilisée par Pierre Mendès France, alors qu’il était Président du Conseil, faisant chaque semaine à la radio un point sur ce qui venait d’être fait et sur ce qui allait être engagé.
Reconnaissons qu’aujourd’hui, on s’écarte considérablement de ce genre de communication pour multiplier commentaires et petites phrases qui retiennent l’attention des médias sans apporter le plus souvent de vision ni de capacité à entraîner des adhésions collectives.
Contribuer à une vision claire est source de dynamique collective.
Maire de Grenoble, j’ai vite perçu que toute la population pouvait comprendre l’avantage d’une vision large et souvent internationale des politiques économiques ou des politiques d’innovation qui pouvaient être entreprises.
L’arrivée de nouvelles entreprises de haute technologie, les succès en matière de recherche étaient des motifs de fierté dans les milieux populaires au même titre qu’un beau succès sportif.
L’attractivité du territoire à travers un réseau de tramway performant, une offre éducative, culturelle ou sportive reconnue est devenue un élément stratégique partagé du développement d’une grande ville.
Président de l’Association des Maires des Grandes Villes, j’ai tenu à communiquer fortement, en m’appuyant sur les réussites locales, pour montrer que les métropoles en devenir étaient aussi importantes que les régions en constitution pour contribuer au redressement économique et social de la France.
La chaîne de la compétitivité (recherche, innovation, applications industrielles et de services, exportation) est un véritable parcours du combattant au plan national pour les PME, compte-tenu notamment de la segmentation des administrations concernées, alors que cela devient plus aisé au plan régional ou métropolitain.
Sur l’habitat et la politique de la ville, autre exemple, il va de soi que seule l’approche métropolitaine est de nature à relever les défis majeurs qui sont encore devant nous, en poursuivant concrètement un objectif de mixité sociale à l’échelle d’un périmètre large, urbain et péri-urbain.
Sans vision articulant local, national et international, on se condamne à des communications souvent défensives et contradictoires dans le temps. Avec la mondialisation, le temps économique (compétitivité et innovation) comme le temps social (flux migratoires) ne sont plus des temps « localistes ». Et si l’on ne veut pas s’abandonner à un flottement irresponsable qui fait toujours le lit du populisme, il convient de rappeler régulièrement que « sans vision, les peuples meurent ».
C’est dire qu’il faut impérativement privilégier des débats vrais, qui puissent s’engager sur la base de projets clairs.
J’ai toujours été réservé sur le concept de co-construction dite « citoyenne » sans vision à moyen et long terme et – d’ailleurs – sans beaucoup de citoyens. Très vite, faute de matière et d’enjeu, les postures et les dogmes l’emportent sur les argumentations étayées, ne permettant pas des dynamiques populaires qui puissent tirer les territoires vers le haut. Il serait utile, à ce sujet, de s’interroger sur ce que, ailleurs et en d’autres temps, sont devenus les soviets en URSS et la grande révolution culturelle prolétarienne en Chine…
III / Pourquoi un livre (« Ma passion pour Grenoble ») pour en parler ?
Pourquoi donc ce livre « Ma passion pour Grenoble » ?
Pour traduire, avec un peu de recul, que les dix-neuf années passées à la tête de ma ville ne pouvaient se réduire à un recueil de discours ou de photographies de réalisations. Ces trois mandats municipaux s’inscrivaient, à mes yeux, dans une vision d’ensemble, façonnée par une expérience de vie et une façon de faire.
Communiquer sérieusement, c’est donc, pour moi, restituer un parcours de vie et d’actions à partir d’objectifs poursuivis, de valeurs partagées et de convictions affirmées.
J’ai souvent présenté Grenoble autour de trois grandes thématiques qui ont été majeures dans le développement historique et spatial de la ville: science, montagne et liberté.
La science a été depuis 150 ans au cœur de l’expansion de la région grenobloise. Au prix d’une innovation constante, elle a permis une croissance continue et soutenue, économique et démographique.
La montagne a joué comme un aimant, avec son pôle qui attire les « conquérants de l’inutile » et celui qui repousse en compliquant la tâche des aménageurs qui doivent surmonter les contraintes de l’enclavement et de la rareté (et donc de la cherté) du foncier.
La défense de la liberté et des libertés a fortement marqué l’histoire de Grenoble, de la révolution de 1789, à la résistance lors de la Seconde Guerre Mondiale, et à l’accueil de populations venant de tous les continents fuyant dictatures et misère.
Rappeler cela, c’est dire que nous sommes les héritiers d’une belle et longue aventure humaine qui doit nous rendre à la fois modestes et ambitieux.
C’est aussi en tirer une vision toujours réactualisée de la société qu’on contribue à construire. Une société multiculturelle, plurinationale qui se nourrit des apports extérieurs et qui encourage une expatriation au service de son pays. C’est dire, incidemment, que les propositions conduisant à stigmatiser certaines catégories de résidents ou à distinguer nationaux et binationaux, ne sont pas compatibles avec l’idée que je me fais de notre vivre ensemble au 21ème siècle.
Rappeler la place de la matière grise dans l’essor d’un pays développé comme la France, dans une ville comme Grenoble, régulièrement distinguée dans quasiment tous les domaines, c’est encourager l’innovation partout et tout le temps. Au plan technologique et des services, bien sûr. Mais aussi dans le domaine éducatif (comme avec le « Parler bambin »), mais encore dans celui de la Culture ou de l’environnement.
Et puis, un livre permet souvent une approche un peu plus personnelle où l’on peut révéler ce qui, dans sa vie familiale et professionnelle, a pu influencer ses grilles d’analyse et finalement certains choix politiques.
Il n’est pas douteux, par exemple, que la dimension internationale de ma famille et mon parcours professionnel au CEA puis à CORYS, PME de haute technologie très caractéristique du vivier grenoblois, ont été des éléments très forts d’inspiration pour ma vision de Grenoble et pour ma façon de communiquer, au-delà des mots et des concepts, sur la réalité du monde et sur les projets concrets.
Je ne peux nier non plus que ma passion pour Grenoble s’est aussi nourrie de mon autre passion, ma passion pour la montagne.
IV/ Quelles améliorations préconiser aujourd’hui en France en matière de communication politique ?
Peut-on, in fine, généraliser au plan national ce que l’on a fait ou croit avoir fait de positif au plan local ?
Restons prudents et modestes…
Cependant, je ne pense pas que l’on puisse se tromper en décourageant la communication court-termiste et superficielle. Par analogie, j’aime rappeler que l’énergie produite par un atome ne résulte pas de l’agitation périphérique des électrons mais de la fission ou de la fusion des noyaux. Il en va de même dans l’action politique.
On ne s’en tirera pas sans retrouver (et faire partager) une même vision de la mondialisation, de l’Europe et de notre pays. Et on ne convaincra personne si on ne s’astreint pas à une évaluation rigoureuse et permanente de nos politiques publiques.
On le sait très bien, tous les grands défis (économiques, sociaux ou environnementaux) du 21ème siècle sont mondiaux. La communication est elle-même devenue universelle et interactive grâce à internet et aux réseaux sociaux. Tirons-en le meilleur parti pour élargir le champ de vision et d’intervention de tous nos concitoyens. C’est dire, en d’autres termes, que l’avenir appartient à ceux qui auront le courage d’aborder les questions difficiles de régulation internationale et de refuser le repli sur soi facile mais mortifère.
La déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, écrite et instruite sur les cendres de la Shoah, a été un progrès sur la déclaration de 1789 qui n’avait empêché ni la Terreur ni les guerres napoléoniennes.
Les États-nations qui ont connu leur apogée au 20ème siècle n’ont empêché ni les quatre génocides ni les deux guerres mondiales qui ont dévasté notre planète en se soldant par des bilans tragiques de dizaines et de dizaines de millions de morts.
L’histoire de l’humanité nous enseigne que les grands progrès scientifiques, culturels, démocratiques ont été portés par les villes : Athènes, Rome, Paris, Londres, New York, San Francisco, Tokyo, Shanghaï… Les villes ne se font pas la guerre. Elles rivalisent en art de vivre : et les villes françaises ne sont pas les moins attirantes !
La ville durable, la ville intelligente qui sait concilier développement économique, solidarité sociale et protection de l’environnement va devenir l’objectif majeur de ce 21ème siècle, soumis à une urbanisation massive et irréversible.
La ville européenne et notamment française peut devenir une référence mondiale. Voilà bien un thème de communication politique utile et mobilisateur !
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