Les primaires sont un dispositif utilisé aux Etats-Unis dans le cadre des élections présidentielles. Elles correspondent à une double réalité : celle du fédéralisme, celle du bipartisme historique. C’est dans chaque Etat que sont désignés des grands électeurs qui, dans une Convention, vont ajouter les voix qu’ils représentent pour désigner le candidat du parti, pour les républicains comme pour les démocrates. Si le président se représente pour un second mandat, il n’y a pas de vraies primaires dans son parti. La candidature aux primaires met en concurrence dans chaque camp des personnalités, souvent déjà élues dans un Etat. La recherche de financements et l’utilisation des médias (privés pour l’essentiel) créent une mobilisation de l’opinion qui sera utile au futur candidat.
C’est cette mobilisation qui a suscité en France la proposition de primaires pour la présidentielle. Les partis sont devenus exsangues et peu représentatifs depuis la fin des années 90. Il faut donc trouver un autre mode de désignation du candidat à l’élection essentielle de la 5e République.
Retour sur le passé
A droite, c’est le premier tour des élections qui sert à départager les candidats. A gauche, la réponse a été l’entente des partis pour un candidat unique, dès le 1er tour en 1965 et en 1974. En 1969, la multiplicité des candidatures a éliminé la gauche pour le 2e tour. En 1981, la dynamique de la candidature unique en 1974 a favorisé le candidat François Mitterrand, d’autant que Michel Rocard a évité toute compétition avec lui. En 1988, le président sortant s’est représenté et a été réélu. Puis 1995, alors que la candidature de Jacques Delors paraissait avoir l’accord de toute la gauche non communiste et qu’il n’avait pas de rival (après l’échec de Rocard aux européennes de 94), son refus a créé une concurrence interne au Parti socialiste. Le nouveau premier secrétaire, Henri Emmanuelli, paraissait à beaucoup insuffisamment représentatif. Une élection interne l’a opposé à Lionel Jospin qui l’a emporté pour être le candidat de la gauche non communiste au 1er tour. Il a été, au second tour, le candidat de toute la gauche, mais c’est Jacques Chirac qui a été élu. Ce dernier avait réussi à l’emporter au 1er tour sur le premier ministre Edouard Balladur, en jouant sur la légitimité « gaulliste ». Voulant parfaire son avantage, il dissout l’Assemblée Nationale en 1997 pour obtenir une majorité législative « présidentielle » : il échoue et c’est avec une majorité de gauche qu’il devra jouer son rôle de président. Le premier ministre, Lionel Jospin, gouverne avec une majorité « plurielle ». Pour conforter sa candidature aux futures présidentielles, deux changements sont opérés : le quinquennat se substitue au septennat, les législatives sont reportées après la présidentielle. Il espérait ainsi forcer la gauche à se réunir derrière lui. Ce ne fut pas le cas, il y eut plusieurs candidats de gauche, à tel point qu’en 2002, il fut devancé par Le Pen au 1er tour. Jacques Chirac, dont la candidature avait fait bon gré mal gré l’union de la droite, est facilement réélu au 2e tour. Dans les années qui suivent, Nicolas Sarkozy assure peu à peu sa légitimité, comme ministre de l’intérieur et comme président de l’UMP. Il sera le candidat naturel de la droite, au détriment du premier ministre sortant Dominique de Villepin. A gauche, l’échec de 2002 est suivi par l’échec du oui en 2005 au référendum sur l’Europe. Le débat a lieu au Parti Socialiste : pour la présidentielle de 2007, plusieurs candidats apparaissent possibles (Aubry, Lang, DSK, Peillon…), la majorité est réunie autour du premier secrétaire François Hollande. C’est cependant sa compagne qui mène une campagne très active (désir d’avenir…) : elle sera désignée comme candidate des socialistes. Elle prend ses distances à l’égard du parti et cherche à concilier « affectivement » les différents courants de gauche. Elle est néanmoins battue en 2007 par Nicolas Sarkozy. S’estimant légitime pour l’avenir, car l’écart de voix au second tour est assez faible, elle mène campagne dans le parti qui se divise en quatre courants de force quasi égale (Congrès de Reims). C’est finalement Martine Aubry qui devient première secrétaire d’un parti dont les effectifs ont sérieusement fondu. Elle se consacre à une relance « socialiste » et reste en retrait des futures présidentielles.
Les primaires pour 2012
C’est dans ce contexte, qu’au vu de l’élection d’Obama aux Etats-Unis après une campagne très active à travers les réseaux sociaux notamment, vient l’idée de primaires pour désigner le candidat de gauche : le parti ne confère plus de légitimité, il y a plusieurs candidats avec des projets différents, il faut mobiliser l’opinion et ne pas laisser la droite occuper le terrain médiatique. Terra nova et diverses personnalités soutiennent l’idée de « primaires » pour désigner le candidat de la gauche non communiste. Finalement, elles se limitent à l’espace radical et socialiste, laissant aux résultats du 1er tour la capacité de rallier PC, Verts et extrême-gauche au candidat désigné. Plusieurs candidats se proposent, mais il apparaît que la candidature de DSK emporte une large adhésion dans l’opinion. Il tarde cependant à se déclarer. Son écart au Sofitel et le battage médiatique autour de son arrestation rendent sa candidature impossible. Martine Aubry rejoint au dernier moment les candidats déjà déclarés. Les primaires deviennent très ouvertes. C’est François Hollande, lui qui aurait pu être candidat en 2017, qui finalement l’emporte, après des débats sérieux et une mobilisation effective de l’électorat de gauche. Il profite notamment du score de Montebourg (17%) qui empêche Martine Aubry de faire un bon résultat au 1er tour.
Face au président sortant, sa pugnacité convainc l’électorat de gauche et séduit une partie du centre (Bayrou). Il est élu au second tour. Il forme une gouvernement qui intègre Montebourg mais pas Martine Aubry et repose principalement sur son équipe de campagne. La majorité législative sera courte. Elle se divise progressivement entre une gauche « frondeuse », assez diverse, et une « droite » qui se retrouve plus ou moins dans le nouveau premier ministre, candidat malheureux des primaires (5 %), Manuel Valls. Au fur et à mesure que se rapprochent les élections de 2017, les autres partis se divisent à leur tour : les écologistes (entre ceux qui quittent le gouvernement et ceux qui souhaitent y entrer), le front de gauche (entre communistes et populistes). Le président sortant reste seul légitime pour 2017, malgré des sondages défavorables.
Des primaires pour 2017 ?
Cette situation inquiète à juste titre hommes et femmes de gauche, d’où l’idée de soumettre les multiples candidats virtuels à l’épreuve de primaires analogues à celles qui ont précédé 2012. S’y ajoutent deux préoccupations :
- La droite a décidé de tenir des primaires en novembre 2016 : elle n’a pas en effet de candidat légitime et l’ancien président qui a pris la tête du parti qui succède à l’UMP (LR) n’est pas parvenu à convaincre qu’il est le seul à pouvoir battre la gauche et le Front National. L’électorat de droite sera donc appelé à trancher, ce qui va polariser les médias sur ce débat et sur celui qui sera désigné.
- Il faut « rajeunir » l’image de la gauche, du moins la renouveler : place à de nouvelles figures qui acquerront, à travers la préparation des primaires, la légitimité que ne leur confèrent pas les institutions.
C’est pourquoi certains souhaitent des primaires de gauche le même jour, ou du moins le même mois que les primaires de droite. D’autres – ou les mêmes – souhaitent des primaires très ouvertes, quitte à ce que les candidats soient multiples. Ils pensent ainsi couper l’herbe sous le pied du Front National et de tous ceux qui veulent « sortir les sortants ».
Problème : le président sortant doit-il participer à ces primaires, s’il veut se représenter ? Si c’est le cas, il perd sa légitimité et la fin de son mandat est un chemin de croix (sic). S’il est désigné, il est paralysé jusqu’à l’élection. S’il ne l’est pas, il perd toute crédibilité. En outre, dans l’un et l’autre cas, rien ne garantit qu’il sera le seul candidat de gauche au 1er tour face au candidat de droite, fort de sa désignation aux primaires.
En réalité, la proposition de primaires à gauche vise à donner du crédit à un autre candidat que le président sortant. Lequel ? Aucune personnalité ne peut se comparer à DSK ou même Ségolène Royal. Il y aurait au 1er tour autant de candidats que de courants dans les différents partis de gauche. En dehors : Nicolas Hulot ? Taubira ? Piketty ? La crédibilité d’une victoire sur le candidat de droite serait alors très limitée. L’élaboration du programme du candidat sera complexe ! Il faudrait un nouveau François Hollande ! Il faut par ailleurs supposer dans ce cas, que le président et le premier ministre apportent leur appui au candidat, or, l’esprit de sacrifice est rare en politique.
Décidément, des primaires à gauche apparaissent au mieux inutiles, au pire catastrophiques, certainement dangereuses. Il faut s’y résigner : seule la candidature du candidat sortant peut assurer à la fois légitimité et crédibilité.
Que faire ?
A quoi peut servir le comité qui s’est réuni en faveur de primaires ? A nourrir le programme d’un second quinquennat, avec des orientations qui seront négociées au moment où le président déclarera sa candidature. Des mobilisations sectorielles ou thématiques sont d’ores et déjà possibles : elles viendront conforter la mobilisation qui se fera le jour venu contre la droite et l’extrême-droite.
Ces orientations programmatiques se distingueraient des programmes de parti en créant les conditions d’un dépassement des forces politiques traditionnelles. Le renouvellement des idées et des personnes doit se poursuivre durant la période 2017-2022, quel que soit le résultat du second tour en 2017 : c’est la seule façon de garantir durablement les valeurs et le projet de ce qu’on appelle la gauche dans notre pays.
Robert CHAPUIS
31 janvier 2016
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