Note IAG sur :
Le commerce extérieur
La France est durablement malade de son commerce extérieur ; nos échanges avec le reste du monde sont déficitaires plus de deux années sur trois depuis cinquante ans : ils l’étaient de 60 milliards d’euros en 2018 et seront encore proches de ce niveau en 2019.
Même si l’euro nous protège d’une crise de balance des paiements, c’est très préoccupant parce que c’est l’indice d’une trop faible compétitivité de notre économie. Surtout, ce « trou » de 60 milliards, soit près de 3% du produit national, représente autant d’activité et d’emplois perdus pour notre pays : un déficit extérieur, c’est du chômage importé ! Si nous exportions simplement autant de biens que nous en importons, nous aurions six cent mille chômeurs de moins. L’Allemagne, elle, a un excédent commercial de 8% du PIB, qui représente au moins trois millions d’emplois gagnés…
Les causes de cette situation sont parfaitement identifiées :
– Des coûts trop élevés ; notre « compétitivité-prix » s’est certes un peu améliorée avec les allègements de charges de ces dernières années, mais le niveau des salaires charges sociales incluses reste nettement supérieur en France à la moyenne européenne, sans parler des pays émergents. Par rapport à l’Allemagne, nos coûts salariaux sont redevenus très légèrement plus faibles dans l’industrie, mais demeurent plus élevés dans les services. Or notre productivité globale progresse bien trop lentement (moins de 1% l’an) pour corriger cet état de choses
– Une « compétitivité hors prix » trop faible. Non que notre spécialisation sectorielle soit mauvaise (nous avons des secteurs d’excellence comme l’aéronautique, le luxe ou la pharmacie), mais nos exportations sont trop tournées vers la « vieille Europe », alors que notre présence est très insuffisante en Chine et dans le reste de l’Asie. Surtout, nous sommes spécialisés dans le moyen de gamme, ce qui ne nous permet pas d’imposer nos prix. Nous avons des multinationales puissantes, qui produisent surtout à l’étranger et coopèrent mal avec nos PME, elles-mêmes trop peu nombreuses : ces ETI, « gazelles » ou « licornes » qui forment le fer de lance d’une économie compétitive sont trois fois moins nombreuses en France qu’en Allemagne ; nous avons seulement 125 000 entreprises exportatrices, l’Allemagne 3000 000 et l’Italie 180 000.
– De plus, nous avons un problème majeur d’inadaptation de la main d’œuvre aux besoins, d’où la coexistence d’un chômage élevé (8,5% actuellement, contre 3,2% en Allemagne) et de grandes difficultés de recrutement de spécialistes dans de nombreux secteurs. Cela rend difficile une reconstitution de notre industrie, qui s’est étiolée depuis trois décennies, tombant de 15% à 10% seulement du PIB – une des baisses les plus fortes de tous les pays de l’OCDE. Or, même si sa part dans le produit national paraît faible, l’industrie occupe une part bien plus élevée dans les exportations, dont elle est le principal moteur
Que faire ?
Opposer l’économie de l’offre et celle de la demande est vain : distribuer du pouvoir d’achat si les forces productives nationales sont hors d’état d’y répondre (du fait du manque d’investissements et/ou de main d’œuvre qualifiée) ne fera qu’accroître les importations, et donc le déficit extérieur. Mais en sens inverse, tout miser sur l’offre serait inefficace, car les entreprises n’investissent que si elles ont des perspectives croissantes de débouchés.
1 . Investir davantage. Nous avons donc besoin non pas d’une austérité budgétaire renforcée, ni non plus de distributions nouvelles de pouvoir d’achat (ce qui serait vivre à crédit, au détriment des futures générations), mais d’un important programme public, « keynésien », d’investissements : au moins cinquante milliards d’€, si possible 100, sur une durée courte (trois ans). L’état des marchés financiers le permet, puisque notre pays emprunte désormais à long terme à 0%, voire au-dessous. Les points d’application sont aisés à trouver, en prenant en compte l’objectif prioritaire de protection de l’environnement : énergies renouvelables, infrastructures ferroviaires (et non routières), rénovation thermique des logements… La Commission Européenne froncera les sourcils, mais moins que pour des dépenses improductives.
2. Taxer la consommation importée. Deux instruments doivent être mis en œuvre :
– La « TVA sociale » : il s’agirait d’augmenter la TVA d’un point (de 20% à 21%) sur les produits ordinaires et de luxe, mais sans bouger les taux intermédiaire et réduit, qui concernent les produits de première nécessité. Si l’on consacre les dix milliards d’€ environ ainsi obtenus à des mesures en faveur du pouvoir d’achat des travailleurs pauvres (par exemple, par une augmentation de la prime à l’emploi) et de l’environnement (par exemple, en subventionnant davantage les travaux d’isolation des logements), on aura un effet redistributif favorable. La TVA n’a jamais été populaire à gauche, car on croit que les plus aisés consomment peu et épargnent beaucoup, et que les classes populaires n’ont pas les moyens d’épargner – c’est largement faux, comme le montrent d’une part l’ampleur des consommations ostentatoires des plus riches et d’autre part l’existence de soixante millions de livrets de Caisse d’Epargne en France. Surtout, il faut rappeler que la part marginale des importations dans la consommation dépasse 40% ; cette « fuite » considérable dans le circuit, qu’on omet souvent de prendre en compte, prive les mesures de relance nationale d’une bonne part de leurs effets. En revanche une hausse de la TVA (qui pèse sur nos importations mais non sur nos exportations, car elle est remboursée aux exportateurs) favorisera directement la compétitivité. Une variante serait d’augmenter cette taxe de deux points, pour dégager aussi des recettes pour l’indispensable réduction de notre déficit budgétaire : l’augmentation de la TVA, mesure difficile, ne peut en effet être faite qu’une seule fois, et elle éviterait d’autres mesures anti-déficit encore plus douloureuses.
– La « taxe carbone aux frontières » : elle est indispensable pour égaliser la concurrence entre les produits fabriqués en Europe, qui subiront les mesures de protection du climat, et les produits importés, qui n’ont pas de charges analogues chez eux. Cette mesure vient être remise en avant fort à propos par la nouvelle Commission Européenne présidée par Mme von der Leyen. Il faudra la pousser fortement, tout en cherchant à lever l’obstacle que constituent les règles actuelles de l’OMC, qui ont grand besoin d’être « verdies ».
3. Favoriser l’investissement privé. Trois mesures iraient en ce sens :
– un impôt sur les sociétés modulé, frappant plus lourdement les dividendes distribués (et, pire encore, les rachats d’actions !) et au contraire allégé pour les fonds investis par l’entreprise. De telles modulations existent dans d’autres pays et sont efficaces.
– une couverture assurantielle avec une contribution publique partielle, en vue de réduire les risques des entreprises qui investissent et d’accroître la prise de risques globale. Ce système a fait ses preuves et est peu onéreux.
– et une nouvelle mesure d’accélération des amortissements et/ou de sur -amortissements pour les entreprises qui s’équipent afin d’améliorer leur productivité (robotisation, numérisation, introduction de techniques innovantes….)
4. Résorber les pénuries de main d’œuvre qualifiée. Le manque de main d’œuvre compétente dans les branches les plus modernes, qui coexsite avec un chômage encore élevé, est un frein considérable à la croissance. Les remèdes sont connus et déjà en partie mis en œuvre, mais trop lentement. Un programme massif de formation continue doit être lancé, accompagné d’incitations au rapprochement entre l’enseignement et l’entreprise. L’effort récent en faveur de l’apprentissage va dans le bon sens et doit être poursuivi activement. Mais au-delà, il faut introduire des incitations à la formation et à la remise à jour des compétences, pour les chômeurs comme pour les personnes en cours d’emploi.
Plus spécifiquement, l’usage des VSNE (volontaires du service national en entreprise), aux effets excellents en termes d’emploi comme de soutien aux PME exportatrices, devrait être largement renforcé et les effectifs concernés au moins triplés.
5. Revoir la fiscalité de l’épargne . le système français continue d’être outrageusement favorable à la constitution d’une épargne liquide totalement sécurisée plutôt qu’à la prise de risques. Les PEA et les FCPI doivent être préférés aux « livrets A » d’épargne ou autres LDD. La fiscalité de l’assurance-vie doit être révisée pour, à taxation globale égale, introduire un taux d’imposition plus faible pour les contrats en unités de compte (largement investis en actions) que pour les contrats garantis en euros ; la règlementation européenne « Solvabilité 2 », qui décourage totalement les placements en fonds propres, devra être révisée aussi rapidement que possible.
6. Enfin, développer une véritable politique de productivité. En tout premier lieu, il faut favoriser activement la recherche – en débloquant les moyens nécessaires pour mieux rémunérer les chercheurs, mieux équiper les laboratoires, attirer des chercheurs étrangers (et les retenir !). Il faut parallèlement encourager le transfert des recherches en applications productives, c’est-à-dire l’innovation sous toutes ses formes ; un des sujets majeurs est la correction de notre retard en robotique et en « cobotique » (travail coordonné homme-machine), peut-être dû aux politiques erronées d‘ « enrichissement de la croissance en emplois » – c’est à dire de sous-productivité ! – que nous menons depuis trente ans ; résultat, nos ETI notamment sont en retard sur ce point et nous employons trois fois moins de robots que nos voisins allemands. Il faudrait réorienter l’action de la BPI, trop tournée vers les prêts et les activités classiques, vers le soutien à l’innovation. Il faut aider les nombreuses PME innovantes qui existent déjà à franchir la « vallée de la mort », c’est-à-dire les premières années de croissance rapide, gourmandes en fonds propres (aujourd’hui presque introuvables pour des programmes de 5 à 100 millions d’€), et à devenir les ETI qui nous manquent. Enfin, il faut remettre en place une véritable politique industrielle, avec des objectifs et des moyens par branches, et renforcer par exemple les Centres techniques professionnels, foyers de diffusion de l’innovation.
Au total, c’est bien en effet l’innovation qui est la clef décisive de la compétitivité de notre économie et donc d’un redressement durable de notre commerce extérieur.
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Philippe Jurgensen
Membre du bureau IAG (Inventer à Gauche)
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