L’Europe et la crise par Alain Bergounioux

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La crise financière et économique repose pour les socialistes et la gauche en général, la question du capitalisme. Il n’y a aucune raison de s’en détourner tant le lien historique est fort. Le capitalisme est la raison d’être du socialisme et, en même temps, son tourment….

Pouvons-nous apprendre du passé comment mieux approcher le présent ? Marx, et après lui les penseurs socialistes, ont toujours insisté sur la double face du capitalisme, à la fois, force de transformation économique et sociale sans pareille, et facteur d’inégalités majeures. Leur conviction était cependant que ses contradictions entraîneraient inévitablement sa chute. Dès lors, le mouvement socialiste fut partagé – et le demeure – entre deux grandes attitudes, celle qui pensait (et pense) qu’un monde meilleur ne pourrait advenir qu’après la « crise finale » du capitalisme (et le communisme, derrière Lénine, et tous ses avatars jusqu’à aujourd’hui, privilégiant pour ce faire la révolution violente), celle qui pensait (et pense) qu’il faut tirer les avantages du capitalisme pour réduire les inégalités en tentant d’éliminer ses tares. La grande crise de 1929 a posé le problème avec acuité. Le dilemme a été exprimé par un social-démocrate allemand de manière parlante : le socialisme devait-il se comporter comme « l’héritier » ou « le médecin » du capitalisme ? Le choix majoritaire – tout particulièrement dans les partis scandinaves au cours des années 1930 – a été de refuser la catastrophe pour réformer le capitalisme par des politiques budgétaires contracycliques, l’extension de la protection sociale, le droit du travail, etc… Le socialisme européen a confirmé et amplifié ces politiques après 1945. Le débat n’a évidemment pas cessé – particulièrement dans les partis du Sud de l’Europe – sur le point de savoir jusqu’où devait aller cette réforme. Avec l’arrivée au pouvoir des partis socialistes d’Europe du Sud dans les années 1980, les différences dans le socialisme européen se sont toutefois réduites.

Aujourd’hui, avec la crise dans un capitalisme globalisé le problème se repose, mais à une autre échelle. Les «compromis» précédents s’étaient construits pour l’essentiel, dans des cadres nationaux. La mondialisation les a affaibli. La domination, qui plus est, du néo-libéralisme depuis la fin des années 1970, les a privés de leur pleine légitimité, les enfermant dans des figures politiques et sociales dépassées – une grande part des partis travaillistes, sociaux-démocrates, socialistes, influencés, plus ou moins, par la « troisième voie » blairiste, acquiesçant par trop à cette évolution idéologique. Le défi, pourtant, est actuellement de retrouver les principes qui ont fondé ces « compromis » en les adoptant de manière offensive aux nouveaux problèmes. Car, ce qui a été conçu à l’échelle des nations doit l’être également à des échelles plus vastes. Trouver les moyens d’une croissance durable en protégeant les populations contre les conséquences négatives du capitalisme demeure l’impératif pour nos partis. Cela n’est pas dépourvu d’une vision d’avenir – contrairement à ce qui est souvent dit. Contre le laissez faire libéral et le catastrophisme d’inspiration marxiste (il faut lire le programme du NPA aujourd’hui !), le socialisme démocratique propose aux citoyens et aux peuples de travailler ensemble pour améliorer le monde. Le socialisme est essentiellement une pensée de la coopération, les premiers socialistes auraient dit de l’association….

Or, cela est bien l’urgence actuelle : la coopération entre les économies nationales. Si cela ne se met pas en œuvre, la crise n’en sera que plus dure, avec toutes les conséquences politiques qui n’iront pas dans le sens du socialisme démocratique. Cela implique que les politiques nationales prennent en compte l’impact de leurs décisions sur les autres. C’est là le point fondamental. La question du protectionnisme douanier n’en est souvent que la traduction ultérieure. Or les exemples foisonnent depuis quelques mois de politiques non coopératives malgré les déclarations contraires. Cela est compréhensible, car la légitimité des gouvernements est toujours nationale. Et, en période de crise, l’intégration économique est plus associée à l’idée de concurrence, de délocalisations, de tassement du pouvoir d’achat, d’accroissement des inégalités. Une politique de coopération internationale doit donc aller de pair avec une volonté de prendre en compte efficacement toux ceux qui ont à souffrir de la crise. C’est une condition politique pour avoir des chances de défendre devant les opinions une économie ouverte. La leçon des années 1930 doit être présente à nos esprits.

C’est dans ce cadre que nous devons peser le problème européen. La crise a mis en lumière les faiblesses constitutives de l’Union. L’effacement de la commission est patent. Derrière les tentatives de coordination,plus ou moins réussies (échec du G4, succès apparent du G20), les solutions nationales, tenant peu compte des situations des autres, l’ont emporté. Les plans adoptés pour le sauvetage des banques privilégient les crédits nationaux. Si l’on continue comme cela, la ligne de plus grande pente est un marché européen de plus en plus fragmenté.

Or, nous devons faire face à trois problèmes urgents. L’urgence financière, d’abord. La crise bancaire n’est pas terminée. Des décisions sur les moyens de se défaire des « produits toxiques » doivent être prises au niveau de l’Union. L’urgence économique, ensuite. Les plans de restructuration nationaux doit être coordonnés par une autorité européenne, sous peine de voir se détricoter le marché unique. L’urgence monétaire, enfin, plusieurs États sont menacés par l’ampleur de leurs déficits. C’est une menace pour la zone euro. Une aide européenne ne doit pas être écartée.

Pour agir dans ces trois directions, il faut une volonté politique. Elle manque à l’évidence. Nous payons le prix de l’échec de l’Union Européenne vers une avancée politique. L’évolution marquée vers une Europe intergouvernementale montre ses limites. Le « directoire » des grands pays européens qui constitue le projet de Nicolas Sarkozy, ne résiste pas à la crise. Cette impasse intergouvernementale doit nous faire reprendre le débat pour une Europe politique. C’est sans doute une illusion de penser que l’Europe aujourd’hui avancera seulement par de grands projets car, ces projets eux-mêmes pour être mis en œuvre supposent une volonté politique. Il n’y a pas de réelle capacité économique, sans réelle capacité politique.

L’analyse du passé et de notre présent, montre que le renouvèlement du socialisme démocratique est étroitement lié à la réussite du projet européen.

Alain BERGOUNIOUX

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