Toute période « anormale » suscite le nouveau. Des initiatives sont prises et des comportements changent. Émergent sur le devant de la scène des inconnus, dont certains s’affirmeront comme des leaders. La crise du coronavirus a ouvert une période « anormale » dont personne, pour l’instant ne peut dater la fin. Elle s’accompagne « d’opportunités », l’autre face des crises, comme disent historiens et sociologues. En 2021, des plateformes sont apparues, des réseaux se sont constitués, et des initiatives inspirées par un souci de solidarité et une recherche d’efficacité se sont multipliées dans les domaines les plus divers : production, distribution, communication. Des collaborations inattendues se sont affirmées.
Quand des volontaires comblent les carences de l’État.
Des cloisonnements et des frontières ont été déplacées ou abattues. Ces changements n’ont pas été limités à un lieu, une classe d’âge ou une catégorie sociale. Hommes et Femmes de progrès sont partout.
Beaucoup souhaitent que ces initiatives perdurent et aboutissent à des transformations dans nos manières de vivre en société. Ils se réfèrent à des expériences tirées de notre passé et en particulier à 1945. Tous les Résistants n’ont pas considéré que cette période de lutte n’avait été qu’une parenthèse, ils se sont affirmés dans la vie politique, économique, sociale, culturelle, religieuse et ont pris des postes de responsabilité dans les partis, les syndicats, les associations et les églises. Ils avaient une référence, une charte commune, celle du Conseil National de la Résistance. Il est vrai qu’une grande partie des élites traditionnelles s’était compromise dans la Collaboration, qu’une volonté de justice sociale s’affirmait fortement, et que pour une brève période une Union Nationale s’était formée autour du Général de Gaulle. La dimension culturelle ne saurait être négligée, pas plus que les rites : le Chant des Partisans ou la Croix de Lorraine en sont des illustrations qui ont marqué les mémoires.
Des symboles toujours actuels.
La « Reconstruction » post covid-19 s’opérera dans un contexte complètement différent. Les élites sont toujours en place, même si elles sont fortement critiquées. Les équipements et les infrastructures n’ont pas été détruites. Il n’existe pas l’équivalent des « héros » sortis de la Résistance et de la France Libre, si ce n’est le personnel de soins généralement anonyme ou quelques professeurs et médecins qui se sont imposés dans les médias. Pas non plus de programme de référence comme celui du CNR. Le climat n’est pas à l’Union Nationale, même si elle est rêvée par une majorité de citoyens. Seul rite nouveau, mais éphémère, les applaudissements aux fenêtres, chaque soir à 20 heures, du personnel des hôpitaux.
En revanche, une forte contrainte incite à changer le modèle économique, le dérèglement climatique et la réduction spectaculaire de la biodiversité. Surtout, jamais la population n’a été aussi éduquée. Jamais les techniques n’ont offert autant de possibilités d’initiatives décentralisées. Déjà, le télétravail et la téléconférence, le télé-enseignement et la télémédecine modifient substantiellement les comportements des particuliers et des entreprises.
Quand les techniques nouvelles changent la société.
La « fabrication par couches additives ou impression en 3D » permet de lancer de nouvelles productions par des équipes réduites en quelques semaines. Les logiciels libres et la multiplication des échanges scientifiques et techniques sur le web rendent possible un accès à des connaissances nouvelles ouvrant la voie à des créations et à des innovations dans l’ordre économique ou social.
Les apports techniques sont nécessaires, ils ne suffiront pas à enclencher une société nouvelle. Un apport décisif viendra de la manière de travailler ensemble.
Ce sont « les Co » apparus durant la crise qu’il faut prolonger et amplifier.
Coéducation associant enseignants, parents d’élèves, élèves et étudiants. Des rapports nouveaux se sont instaurés. Les enseignants ont mieux compris ce qu’un travail en commun avec des parents motivés apportent, contrairement au principe de précaution protégeant l’école des influences extérieures. A l’occasion du téléenseignement, élèves et profs ont découvert des capacités d’initiatives insoupçonnées. Une éducation ouvertement interactive fait progresser tous les acteurs et prépare à des comportements plus participatifs dans tous les secteurs de la société. La coéducation ne se décrètera pas par voie de circulaire, elle relève pour une part par des initiatives à la base, facilitées par l’administration qui fournit les outils (logiciels, équipements, maîtrise des techniques) exploite les expériences en diffusant les pédagogies les plus adaptées. Cet apprentissage collectif ne se fera pas sans quelques erreurs.
Coproduction et codéveloppement. Il est des fonctions où la coopération est plus efficace que la concurrence. Cela est évident pour la recherche et parfois utile pour la vente, la prospection de marchés à l’étranger, les exportations et l’assistance technique dans les pays en développement. L’individualisme français fait que la place donnée à la coopération est généralement plus réduite que chez nos concurrents, allemands par exemple. Les rapports nouveaux établis durant la crise, où des actions communes ont été bénéfiques et des complémentarités révélées conduisent à revoir la répartition des tâches et à la modifier. Le secteur de l’Économie Sociale et Solidaire devrait être à l’avant-garde d’un tel mouvement. Des rapports nouveaux doivent également régir les relatons entre producteurs et distributeurs, notamment au profit des circuits courts jugés rentables.
Vers de nouvelles relations producteurs/ distributeurs.
Comme les rapports de force ne vont pas disparaître, il incombe aux pouvoirs publics la charge de réguler les relations entre tous les acteurs, notamment par la fiscalité et le contrôle des abus de pouvoir.
Codécision. Lors du confinement, les dirigeants d’entreprises ont constaté qu’ils devaient associer étroitement les représentants du personnel à l’adoption de mesures de sécurité. Ils étaient les seuls à connaître de façon concrète les conditions de travail. Il faut en tirer les conclusions et instaurer des dispositifs de codécision, aux échelons pertinents, en partant de la sécurité prise au sens large, incluant la prévention. De manière plus générale, dans une période de changements technologiques rapides, où des efforts sont demandés à tous les acteurs, des dispositifs de codécision sont nécessaires en s’inspirant des pratiques allemandes ou néerlandaises, qui sont des éléments positifs pour les salariés, les entreprises et l’économie. Là aussi, la codécision ne se décrète pas partout le même jour. Il faut donner une place à la négociation collective, à l’expérimentation et aux transitions.
Codélibération. Il est de nombreux secteurs de la vie sociale où ce « Co » moins contraignant serait utile, à condition de ne pas se réduire à une formalité sans effet sur la décision. L’objectif n’est pas nécessairement de dégager un consensus complet, toujours difficile en démocratie, mais de parvenir à un diagnostic commun et à une réduction des désaccords.
Il est reproché aux « Co » de faire perdre de l’agilité, du temps et de l’argent. Le calcul est souvent inexact. Le temps « perdu » avant est regagné après, les décisions prises étant mieux comprises mieux acceptées et ne se heurtant pas à des blocages. Un pays comme le Japon s’en porte fort bien. Une comparaison entre la Réforme des PTT conduite par Michel Rocard et celle de la SNCF conduite par Emmanuel Macron serait éclairante. Qui, in fine, a été le plus efficace ?
Cobénéfices. Il ne s’agit pas du partage du profit, débattu à travers les mécanismes de codécision. Il s’agit de prendre en compte des actions dont les bénéfices sont ignorés faute d’évaluation adéquate. Ils sont particulièrement nombreux dans le domaine de l’environnement : rénovation thermique des habitations, qualité de l’atmosphère, transports collectifs. Ils le sont également dans celui de la santé, la bonne santé des travailleurs ayant des effets bénéfiques sur l’ensemble de la société. Il existe des méthodes relativement simples pour évaluer ces bénéfices économiques, en débattre et les inclure dans les décisions d’investissements.
A priori, Emmanuel Macron n’a pas la culture des « Co » Il n’a pas cru en l’utilité d’un parti inséré dans la société, apte à débattre et à proposer.
Le président écoute et propose.
Dans l’urgence, il peut changer et donner l’impulsion nécessaire, avec une référence, celle du « Grand Débat » où il a montré un art de l’écoute suivi d’une capacité à décider. Il ne dispose que d’un court délai pour se remettre dans une position comparable et expliciter une ligne de force qui sera présente lors des multiples décisions économiques, sociales et financières qui seront prises dans les prochains mois. Est-il prêt à un tel saut, à admettre qu’un supplément de démocratie décentralisée et participative est un ingrédient nécessaire en l’état actuel de la société ? Sans ce retournement, l’occasion aura été gâchée.
À travers les « Co », c’est un projet de démocratie interactive, où les citoyens participent, dans tous les secteurs, aux décisions conditionnant leur présent et leur avenir, qu’il faut inventer.
Claude Alphandéry, ou l’innovation à tous les âges
Tous les citoyens ne voudront pas participer, mais les volontaires viendront sans restriction de milieu ou d’âge. Claude Alphandéry, 97 ans, qui fut un Résistant et en 1944 Commissaire de la République de la Drôme, fait à cet égard toujours figure de pionnier.
Pierre-Yves Cossé
19 Mai 2020
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