Tribune publiée dans le journal Le Monde – « La seule rupture historique du PS, c’est celle de 1982-1983 »

Veuillez trouver ci-dessous une tribune publiée dans le journal Le Monde ce vendredi 5 septembre par Alain Bergounioux (Historien, directeur de La Revue Socialiste).

Alain Bergounioux sera d’ailleurs l’invité d’honneur, en compagnie de Monsieur Thierry Pech (Directeur du think tank Terra Nova), de la première rencontre de l’année 2014-2015 de notre cercle de réflexion « Inventer à Gauche », qui sera consacrée à l’Identité Socialiste.

Cet échange se déroulera le mardi 16 septembre à 19 heures à l’Assemblée nationale, au 126, rue de l’Université (75007 Paris), 6ème bureau.

Dans un souci d’organisation, nous vous remercions de bien vouloir nous confirmer votre présence à michel.destot@inventeragauche.com.

Pensez à vous munir d’une pièce d’identité.

Amicalement,

Michel DESTOT

Président d’Inventer à gauche

La seule rupture historique du PS, c’est celle de 1982-1983

Dans les débats qui ont cours aujourd’hui au Parti socialiste, la tentation est grande d’y voir – comme il a été dit et écrit beaucoup – toujours le débat entre deux gauches, que résume souvent l’opposition entre deux personnalités, Jaurès-Guesde, Daniel Mayer-Guy Mollet, Rocard-Mitterrand, Valls-Montebourg, etc. Mais ce n’est pas une bonne approche.

Certes, comme dans tout mouvement politique, où les valeurs et l’idéologie ont une importance, il y a toujours une opposition entre les « modernisateurs » et les « fondamentalistes ». Mais on explique un peu mieux la situation en en analysant les enjeux réels et changeants et l’interaction entre théories et pratiques, qui permettent de sortir des généralités. Bref, il vaut mieux adopter une approche historique. Les mêmes acteurs peuvent se trouver dans des positions différentes selon les conjonctures. Après tout, ce fut Jules Guesde et non Jean Jaurès qui fut ministre…

IL N’Y A PAS EU DE RUPTURE IDÉOLOGIQUE

La manière dont le Parti socialiste s’est reconstruit en 1971, au congrès d’Epinay, a commandé la nature des débats qui ont suivi. Il n’y a pas eu, à proprement parler, de rupture idéologique. Les socialistes, au cœur de leur projet, se sont inscrits dans la continuité des années 1960 : extension de la puissance publique, avec les nationalisations, politique économique d’inspiration keynésienne, accroissement des libertés et des droits.

Mais à la fois le climat politique, après Mai 68, la stratégie choisie, l’union avec le Parti communiste, ont durci les traits. Les socialistes ont voulu incarner une voie particulière, reprenant la conception jaurésienne de « l’évolution révolutionnaire », critiquant la social-démocratie européenne, pas assez socialiste – dont le Ceres de Jean-Pierre Chevènement s’est fait le farouche contempteur.

La contestation menée par Michel Rocard après 1976 n’a pas voulu initialement plaider pour la social-démocratie. Elle critiquait, avant tout, l’étatisme de l’orthodoxie majoritaire et, prenant appui sur une culture décentralisatrice, défendait le pluralisme dans la société et une prise en compte réaliste du rôle du marché dans un contexte économique déjà qualifié de crise…

Il y avait également derrière des appréciations différentes sur ce que devait être les rapports avec les communistes et un conflit d’ambitions pour la désignation du candidat à la présidence de la République. La victoire de François Mitterrand, appuyé sur le Ceres, au congrès de Metz, en 1979, figea le débat, et le Parti socialiste affronta l’exercice du pouvoir en 1981 avec son programme traditionnel qui reposait fortement sur une confiance dans l’Etat national réformateur

UNE EUROPÉANISATION ACCRUE

La différence cependant avec les exercices du pouvoir précédents fut que les institutions de la Ve République ont permis la durée. La véritable rupture dans l’histoire du socialisme français se situe là, dans les années 1982-1983. François Mitterrand avait déjà voulu que le Parti socialiste devienne pleinement un parti de gouvernement.

Les réalités économiques, une économie mondiale déflationniste, une balance commerciale déficitaire, une monnaie affaiblie ont amené un changement de cap économique, étalé du printemps 1982 au printemps 1983, que résume faussement la notion de « rigueur », car il s’agit d’une véritable adaptation aux données de la mondialisation économique qui prenait corps. Et ce, d’autant plus que François Mitterrand, appuyé par Jacques Delors, a voulu retrouver, en engageant nettement la France dans une européanisation accrue, au niveau européen, les possibilités d’action qui n’existaient plus au seul niveau national.

Mais les socialistes ont eu du mal à assumer pleinement cette situation – qualifiée initialement de « parenthèse ». Et ce, malgré les tentatives de redéfinition d’un socialisme moderne, menées, parallèlement, par Laurent Fabius et Michel Rocard dès 1984. Le congrès de l’Arche, consacré à la doctrine, en 1991, voulu par Pierre Mauroy, parla du « compromis » comme « du mode privilégié de la régulation économique et sociale ».

Mais François Mitterrand, prenant en compte la diversité et les divisions de la gauche et des socialistes, ne favorisa pas une réelle révision idéologique, préférant le faire sans le dire. Si bien qu’à chaque grande difficulté, les débats ont rebondi au sein du Parti socialiste pour savoir si l’exercice du pouvoir dans ces nouvelles conditions n’amenait pas une « trahison » des idéaux. Et l’Europe, sortant après l’adoption du traité de Maastricht, en 1992, en est venue, de manière privilégiée, à cristalliser les affrontements entre courants.

« CHEVAL DE TROIE DE LA MONDIALISATION LIBÉRALE »

Lionel Jospin a voulu, pendant ses années de gouvernement, définir un nouvel équilibre. « Nous ne sommes pas des sociaux-libéraux, disait-il en 1999, nous sommes des socialistes et des démocrates, des sociaux-démocrates. » La controverse avec Tony Blair a contribué à préciser l’identité du socialisme français. Sa formule « Oui, à l’économie de marché, non, à la société de marché » concluait une période ouverte en 1983.

Malheureusement, la défaite de 2002 a remis en cause le consensus qui s’esquissait. Elle révéla, par là même, la difficulté de changer les cultures politiques sans un débat explicite et large. Les politiques menées depuis 1997 furent ainsi mises en cause et jugées trop « libérales ». La question européenne redevint la pierre d’achoppement par excellence. Le Nouveau Parti socialiste, courant animé par Arnaud Montebourg, Vincent Peillon, Julien Dray, en parlait comme du « cheval de Troie de la mondialisation libérale ».

La querelle du projet de traité constitutionnel européen faillit rompre le parti en 2005. La « synthèse » qui suivit au congrès du Mans préserva l’unité, mais au prix d’un recul sur la nature du réformisme à mettre en œuvre dans un exercice du pouvoir à venir. La candidature de Ségolène Royal, en 2007, déplaça le débat socialiste sur la vision de la société et les pratiques politiques, avec la démocratie participative. Mais elle ne changea pas fondamentalement la carte des oppositions idéologiques. Le congrès de Reims, en 2008, n’a pas été un congrès idéologique mais de pouvoir.

Le projet élaboré pour les élections de 2012, sous la responsabilité de Martine Aubry, sous l’invocation d’un « nouveau modèle de développement », a synthétisé les propositions socialistes. Mais les débats de la primaire socialiste ont montré qu’il y avait, de fait, des visions différentes de phénomènes aussi importants que la mondialisation, la construction européenne, le rôle de l’entreprise, etc.

Quand on met en perspective ces évolutions résumées à grands traits, il apparaît qu’il n’y a eu qu’une réelle rupture dans l’histoire du Parti socialiste. C’est celle de 1982-1983. Depuis, sa définition réformiste ne fait plus débat, de la gauche à la droite. En revanche, s’il n’y a plus de politiques réellement alternatives – la « fronde » actuelle ayant une nature principalement revendicative, c’est sur le contenu que les socialistes veulent donner au réformisme que porte la discussion. La réalité de la social-démocratie, c’est d’accepter la pleine légitimité du patronat et des syndicats, c’est de favoriser un travail commun.

Le paradoxe est que, à trop hésiter sur ce qu’implique une réelle culture sociale-démocrate, trop de socialistes favorisent ainsi un pragmatisme moins cohérent. La formule de François Mitterrand « On ne sort de l’ambiguïté qu’à son détriment » est aujourd’hui pernicieuse. Le socialisme français a besoin avant tout de cohérence, qui est une clé de l’efficacité et de la compréhension pour les Français.

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