Qui est le cynique ?
La France a la mauvaise habitude de donner des leçons à l’Italie, ce qui n’est pas toujours fondé et toujours improductif, s’agissant d’un allié naturel avec qui les liens sont anciens.
Lors de la formation chaotique du gouvernement issu des dernières élections italiennes, notre ministre de l’Economie, M. Le Maire, a cru bon de rappeler à l’ordre l’Italie pour qu’elle respecte les engagements sur le déficit et sur la dette applicables à tous les membres de la zone euro. Venant d’un pays qui n’a pas respecté ses engagements, qu’il s’agisse de l’endettement public-100% par rapport au PIB- très supérieur à la norme européenne, ou du déficit budgétaire pendant de nombreuses années ,l’obligeant à quémander une indulgence particulière, la déclaration était difficilement acceptable par notre voisin et elle n’a pas été acceptée. Rappelons que le déficit budgétaire italien est inférieur au nôtre (1,9%) et que cela lui donne une petite marge budgétaire pour une politique de croissance. Précisons, qu’à politique constante le déficit budgétaire français devrait croître d’ici 2022. Ajoutons que l’industrie italienne a moins reculé que la nôtre durant la dernière décennie et qu’elle exporte plus que la France, par exemple aux Etats-Unis ou en Chine et que le solde de ses échanges de biens et services est excédentaire depuis plus de vingt ans (heureuse Italie) Bruno Le Maire ne doit pas être surpris par l’annulation de la visite à Paris de son homologue italien.
L’interdiction d’accoster dans un port italien faite à un bateau de sauvetage où s’entassent plus de 600 migrants, dont des enfants et des femmes enceintes, affaiblis ou malades, est une infraction au droit de la mer et à la solidarité la plus élémentaire, qui veut que l’on sauve les personnes en danger de mort. On peut comprendre que la France (Corse excepté) grande puissance méditerranéenne ne se soit pas substituée à l’Italie pour accueillir Aquarius. Cela aurait constitué un précédent et peut-être créé un « appel d’air » selon la formule répétée à satiété par tous nos ministres de l’Intérieur.
Cette politique égoïste est acceptable, à condition qu’elle soit discrète et ne s’accompagne que de déclarations lénifiantes, souhaitant par exemple la collaboration entre Rome et Bruxelles. Notre Président de la République a préféré s’en prendre aux autorités italiennes qui ne respectent pas leurs engagements, à leur irresponsabilité et à leur cynisme. Pour se permettre la critique, la première condition eut été que la France fût irréprochable par rapport à son voisin, dont les bateaux sont de sauvetage sont intervenus plus souvent que les nôtres, et qui a sauvé 150 mille migrants et en a accueilli 700 000 durant ces trois dernières années. Il aurait fallu que nous tenions notre engagement de recevoir 9000 migrants alors que le chiffre actuel est de 640. Il aurait fallu que nos pratiques à la frontière soient exemplaires, même après la suspension des accords de Schengen. Dans de nombreux cas, à Menton comme dans les Alpes, des mineurs qui ont pénétré sur le territoire national sont expulsés, contrairement au droit d’asile, et des justes qui viennent au secours de migrants en péril égarés dans la montagne sont poursuivis devant nos tribunaux.
Les déclarations d’Emmanuel Macron contribuent à la confusion croissante en Europe sur l’immigration, détériorent l’image de la France et les relations avec un membre de la zone euro, dont l’appui serait nécessaire lors des futures négociations européennes. Elles font ricaner de nombreux gouvernements de l’Union ; le nouveau leader de l’Europe excellerait plus dans la vision d’une Europe à réinventer que dans le traitement des urgences, à moins qu’il ne veuille être « le premier de cordée » du cynisme qui caractérise l’absence de politique de migrations et la course au nationalisme en Europe.
Pierre-Yves Cossé
Juin 2018
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