« Cohérence du macronisme ? » par Pierre-Yves Cossé

Cohérence du macronisme ? 

Laissons de côté le « coup de com » avec sa terminologie vulgaire, le « pognon de dingue » formule digne d’un de ses prédécesseurs, Nicolas Sarkozy et prenons en considération le discours de Montpellier dans toute sa logique.

Oui, notre système de protection sociale est lacunaire, complexe, coûteux. Des droits proclamés sont des « droits formels » et  ne sont pas effectifs (logement) Son universalité est « mitée d’exceptions et d’impasses » Oui, l’accès à une formation de qualité et à un métier est malaisé pour beaucoup. Oui l’accompagnement est insuffisant, comme le montre l’exemple du RSA avec une baisse de 40% des dépenses d’accompagnement. Oui, l’octroi d’allocations pourrait parfois être utilement remplacé par des services à la personne, mieux adaptés aux besoins. Oui, dans notre système de santé, trop d’actes sont inutiles, des pathologies sont mal couvertes et une sur médication dangereuse et couteuse est dangereuse est pratiquée.

Ces éléments de constat sont difficilement contestables, même si les effets positifs sont sous-estimés, par exemple sur la réduction des inégalités.

Oui, une « transformation collective » est nécessaire,  d’autant qu’avec une croissance inférieure à 2% et le vieillissement de la population l’augmentation de la dépense sociale doit être contenue, puisque les Français ne veulent pas payer plus d’impôts ou de cotisations.

Comment transformer ? La réponse donnée à Montpellier n’est pas à la hauteur des enjeux, elle est vague. Principalement qualitative,  « un chemin d’accompagnement et de responsabilisation qui permet l’émancipation dans et par le travail » est à peine esquissé. « La bataille, c’est l’école » qui aboutit à un métier. Il faut « réinvestir dans la personne » et faire revenir vers le travail les pauvres ou au moins le plus grand nombre. Les mesures annoncées vont plutôt dans le sens  contraire, celui d’une augmentation des dépenses : une prochaine loi pour couvrir le risque dépendance évalué à une dizaine de milliards, un plan « grande pauvreté » Quant au développement de la prévention, notamment dans le domaine de la santé (dépistages, vaccinations) il commencera par engendrer des dépenses supplémentaires.

La « transformation « macronienne  est encore dans les limbes.

On a compris qu’une baisse actuelle des prestations sera nécessaire pour financer l’accompagnement et la formation. Mais lesquelles et comment ? Une voie possible serait de limiter les aides aux plus défavorisés  et d’imposer des conditions de ressources, comme cela a été fait pour les allocations familiales au cours du précédent quinquennat. Cela ne semble pas la voie choisie avec la prise en charge pour tous de nouvelles dépenses santé (lunettes, surdité).  Ce débat  ne pourra être longtemps éludé.

Quant à la suppression pure et simple d’allocations existantes, elle est difficilement réalisable à court –terme, au-delà du gel, au moins pour les aides majeures, de type RSA et comme le dit le Président les « filets de sécurité » devront être maintenus. Une autre voie , c’est celle des réorganisations et des gains de productivité engendrant une baisse des coûts, même si la réforme entraîne dans un premier temps un supplément de dépenses (investissements et numérisation) Pour ce faire, il aurait fallu dès la constitution du gouvernement mettre en place  des structures ad hoc pour préparer des réformes administratives et en débattre. Le Président a préféré l’obscurité d’un  comité d’action publique « CAP 2022 » travaillant dans la confidentialité dont le rapport semble ne devoir jamais sortir.

Une autre approche, techniquement possible et politiquement explosive,  serait de jouer sur le volume de la sphère publique, en transférant certains services publics au secteur privé jugé meilleur gestionnaire. La couverture de certains risques pourrait être laissée à l’assurance. Une part de l’enseignement supérieur serait confiée au privé, comme dans des pays anglo-saxons, où il est devenu une activité concurrentielle en rapide croissance, l’état continuant de réguler l’octroi de diplômes et le contenu des programmes. Les usagers et les familles se substitueraient à l’état financeur. Quelques compensations pourraient être accordées : baisse de cotisations ou aide aux plus démunis qui ne pourraient payer. Là, la part des dépenses publiques dans le PIB baisserait  et les inégalités sociales augmenteraient, ce qui ne semble pas constituer un problème pour l’actuel Président de la République.

De toute manière, de tels changements ne peuvent se concevoir que dans une perspective d’ensemble,  avec des contreparties visibles pour les citoyens, notamment  de nouveaux dispositifs permettant « l’émancipation de tous par le travail » Le président se comporte comme si  de tels dispositifs étaient en place ou sur le point de fonctionner. Ce n’est malheureusement pas le cas et de loin. La mesure de dédoublement des classes de CP dans les zones prioritaires est une heureuse exception et encore elle est limitée à une minorité des populations fragiles. Même pour Parcours Sup, il faudra attendre la fin du processus pour savoir si le dispositif de transition et de rattrapage  prévu pour une partie des candidats  fonctionne. Pour l’instant, il n’est pas financé et il manque déjà plusieurs milliards de crédits dans l’enseignement supérieur. Quant à la formation, du lycée professionnel à la formation permanente, ou à l’élargissement de l’assurance chômage, on en est à l’élaboration des textes qui devront être suivies par  des négociations avec toutes les parties prenantes.

Autre risque lié à son ambition : le temps. Emmanuel Macron ne sera pas t’il victime, comme son prédécesseur des délais de mise en œuvre effective. La rénovation d’un système de formation se joue sur une décennie ; il faut non seulement consentir un effort financier continu (au-delà des 15 milliards annoncés pour la formation professionnelle) mais changer les méthodes, la pédagogie et en conséquence les maîtres. Il est probable qu’Emmanuel Macron le sait et qu’il pense recueillir les fruits au cours de son…second quinquennat. Les Français auront-ils la même patience ? En tout cas, ils ne sont pas prévenus.

Dans quelques semaines, la loi de finances 2019 devrait être le test de la cohérence du macronisme économique et financier. Alors que le Président a pris des engagements fiscaux inconsidérés (taxe d’habitation, exit tax)  il doit préparer l’avenir, dans ce qui sera son premier vrai budget, en amplifiant l’effort en faveur de l’enseignement, de la recherche  de l’investissement et d’une politique industrielle tournée vers les technologies nouvelles, tout en poursuivant l’effort de défense. Simultanément, il a pris l’engagement, notamment envers Bruxelles que le déficit serait réduit, ne pas le tenir compromettrait sa position internationale. Des économies massives et immédiates sont donc nécessaires. Il est moins difficile de les faire en jouant sur les interventions que sur la fonction publique. Certes, il reste les expédients traditionnels, la sous-estimation des dépenses et le gonflement des recettes. Elles seraient dénoncées à Paris comme à Bruxelles mais ces dénonciations n’ont jamais tué un gouvernement. Et me comportement italien pourrait être un dérivatif.  Et elles seraient irresponsables par rapport à notre niveau d’endettement.

Comme ces expédients ne sont pas à la hauteur du problème, le moindre mal serait une hausse d’un point de TVA (qui ne pèse pas sur les exportations) C’était la recette du candidat Fillon, elle n’était pas stupide mais M Fillon est passé de mode.

Le second test pourrait être celui de la Réforme de l’Etat. Le président prendra t’il les moyens pour avancer dans la clarté ou poursuivra t’il sa politique de confidentialité ? Il n’y a qu’un domaine où existe une cohérence entre l’ambition et la méthode, la transformation difficile de notre système de retraites.

Pierre- Yves Cossé

Juin 2018

PS : La mutualité est-elle la meilleure enceinte pour un discours vertueux ? Certes l’esprit et le dévouement mutualiste subsistent. Mais les dirigeants freinent le plus souvent les regroupements nécessaires et se livrent à une concurrence et une publicité coûteuse, dont les mutualistes sont les victimes. Compte tenu du poids de ce lobby, poser la question est déjà un sacrilège.

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