Cette tribune a été publiée dans le journal Libération (lundi 3 juin 2014).
Par Michel Destot Ancien président de l’Association des maires des grandes villes de France (AMGVF), Alain Rousset Président de l’Association des régions France (ARF) et Jean Viard Directeur de recherches CNRS au Centre de recherches politiques de Sciences-Po (Cevipof)
L’absence de courage politique pour réformer l’Europe, la mise en marge de l’objectif de justice sociale, le refus chauvin d’une politique économique commune ont mis dans une immense colère les peuples d’Europe – en particulier le peuple de France. L’extrême droite et l’abstention s’en nourrissent et nous dégradent en Europe et aux yeux du monde.
Les mêmes questions et les mêmes incapacités à sortir de luttes idéologiques archaïques vont entraîner les mêmes effets aux prochaines élections régionales et départementales. Opposition et majorité jouent ici aussi, et ce depuis des années, un jeu suicidaire de refus successifs du changement. Alors, comme ils rejettent de plus en plus l’Europe, les Français rejettent de plus en plus la décentralisation. Sans une modification forte de l’organisation politique du territoire, nous sommes convaincus qu’il arrivera à la scène locale ce que nous venons de connaître pour la scène européenne. Et, les politiques ne peuvent parler sans cesse de réforme seulement pour les autres et ne jamais en faire pour eux-mêmes?! Aussi, nous affirmons ici les principes et les objectifs qui nous semblent essentiels :
1) La décentralisation de 1981 fut pensée avant le TGV, le téléphone portable et Internet. Nous étions loin les uns des autres. Rappelons aussi que la carte économique de notre pays a été depuis transformée car l’Ile-de-France a « expulsé » l’industrie vers les régions. Paris est devenu une place mondiale du conseil, du service haut de gamme, de la culture, de l’économie touristique mais Lyon, Marseille, Grenoble, Toulouse, Nantes, Lille, Bordeaux sont entrés dans le temps des grandes métropoles qui lient université, entreprises, culture, mobilités, innovations. Jamais avant cette double pression politique et économique, la France n’a été aussi homogène?; avec, c’est vrai, un recul de la richesse agricole rurale et de la production industrielle dans de nombreux petits bassins. Les métropoles produisent actuellement 60% de la richesse.
2) C’est cette France profondément rééquilibrée par la décentralisation et un quart de siècle de mutation économique, dans une société numérique et collaborative, dont il faut alléger l’organisation, restreindre les dépenses, augmenter les solidarités et accélérer le développement. Ce diagnostic est la base de tout. Si, et seulement si, on y inclut les cultures locales et les appartenances héritées. Mais sans non plus en faire des paravents du refus du changement et de la défense de positions acquises.
3) La Révolution française a su, en créant les départements, nous réorganiser profondément tout en gardant beaucoup des appartenances et des cadres anciens. L’enjeu est le même. Mais là où il s’agissait de redessiner les formes du corps spatial de la Nation dans un moule républicain, notre question est de restaurer une citoyenneté vraie, active, aux bonnes échelles, et de se doter des instruments de pouvoir économique proche du terrain dans un monde de mobilité, d’éducation, de liens entre le plus local et le plus global.
4) La question ne porte pas d’abord sur les frontières des territoires mais sur leurs moteurs de développement. Il faut structurer nos appareils de décision autour des métropoles, hubs du développement entre entreprises, formations des hommes, gestion des investissements. Nous avons entre 8 à 12 « moteurs » autres que Paris, autour de grandes universités, de marché du travail réel, d’entreprises puissantes et en réseaux liés à la France, l’Europe et le monde par des moyens de communication rapides. La loi sur les métropoles enrichie d’un mode de scrutin direct peut servir ici de base. Concernant les régions, le débat s’est focalisé sur leur nombre. Le problème n’est pas là. Le paramètre principal est leur puissance financière et leurs compétences pour irriguer le développement de tout le territoire. Les régions doivent être, comme en Allemagne, le socle du soutien aux PME – PMI et aux ETI (entreprises de taille intermédiaire).
5) Mais ce primat des forts ne doit pas porter à délaisser les plus fragiles. Les campagnes, les montagnes, la mer ont besoin et ont droit à des projets et à des moyens. Les territoires verts doivent compter en hectares plus qu’en hommes, mais non disparaître. La qualité de vie des villes moyennes, des bourgs et des villages doit être intégrée à la nouvelle vitalité locale. Ils sont souvent dynamiques et créatifs. La production de biens écologiques par les territoires peu peuplés est considérable. Mais acceptons que nous ayons besoin d’une organisation moins coûteuse, plus lisible, plus efficace et que là, les transformations des départements sont la nécessité première. Une transformation de ce maillage intermédiaire, pas un effacement brutal.
6) Plus que les hectares, ce sont les citoyens qui comptent. Or, à des citoyens qui parcourent en moyenne 30 kilomètres par jour autour de leur maison et dont 61% travaillent hors de la commune où ils votent, on doit proposer une refondation citoyenne territoriale : à nouveau, un citoyen doit être « un actif habitant » et le travail, la production de richesse, doivent redevenir des acteurs politiques locaux. Cette situation pousse à favoriser une échelle locale plus large que la commune, l’incluant : communautés de communes ou « pays », et métropoles autour des grandes villes.
7) Cette évolution de la carte territoriale des collectivités locales doit s’accompagner d’un nouveau mouvement de décentralisation en allégeant l’Etat. Pour faciliter cette évolution, il faut fusionner la fonction publique d’Etat et celle des collectivités locales pour améliorer la mobilité des agents. Les services publics, qui ont été transférés aux communes, départements et régions depuis 1981 ont été considérablement améliorés. Car les élus se sont sentis responsables. Aussi, l’amélioration de l’action publique passe par la poursuite de la décentralisation avec un l’Etat qui, pour se renforcer, doit se recentrer sur ses missions régaliennes et son rôle de stratège.
8) Cette réforme doit être menée à bien dans la clarté. Aussi, on pourrait décider, pour que chacun s’y retrouve, de généraliser autant que possible, comme modèle unique et commun, le modèle électoral de la loi PLM (Paris – Lyon – Marseille) au niveau des pays, des métropoles et des régions, où les départements verts pourraient garder (en dehors des métropoles) une fonction relais qui est celle des mairies d’arrondissement – avec une loi PLM pondérée par une part de proportionnelle pour qu’à chaque niveau ce soit la liste arrivée en tête qui recueille 50% des sièges, afin que les responsabilités soient claires.
9) En cette période difficile de chômage, de dette et de crise, l’angoisse des Français est immense. Nous devons faire l’acte IV de la démocratisation du territoire au service du redressement de notre pays. Sinon, les victoires du FN vont succéder aux victoires du FN et la France cessera d’être une référence mondiale de valeurs, de droits et d’art de vivre.
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